Biodynamie et Anthroposophie

Dernièrement, certains médias se sont fait largement échos du procès d’Emmanuel Giboulot, un agriculteur biodynamiste qui risquerait la prison pour avoir refusé de répandre certains pesticides dans ses champs. Cet homme devient ainsi une sorte de héros de la cause biologique et de l’agriculture alternative. Le site du Cercle Laïque pour la Prévention du Sectarisme s’est fait écho de cette affaire et je ne peux que renvoyer à son remarquable article pour de plus amples informations. Mais au delà de ce cas particulier, il me semble que se pose la question de la vraie nature de la Biodynamie et de ses liens avec l’Anthroposophie.

Quels sont ces liens ? S’agit-il seulement d’une référence à la doctrine de Rudolf Steiner ? Je voudrais ici tenter de répondre à ces questions en m’appuyant sur mon vécu d’ancien anthroposophe et d’ancien élève Steiner-Waldorf.

Quand les anthroposophes parlent au public et aux médias de la Biodynamie, ils présentent bien souvent comme « un prolongement de l’agriculture biologique ». Ils jouent ainsi sur le préfixe « bio » pour mettre les deux choses dans le même sac. Ainsi, j’ai souvent entendu dire, lorsque j’étais anthroposophe, qu’il fallait toujours mettre en avant, quand on parlait de la Biodynamie, le respect de la nature et de l’environnement, l’absence d’usage de pesticides, l’observation des cycles des saisons, etc. Par contre, on nous disait d’éviter de mentionner le fait que cette méthode se base sur les influences astrales des signes du Zodiaque, sur des procédés magiques consistant à tuer et à brûler certains animaux en dispersant leurs cendres sur les champs durant la nuit pour éloigner la vermine, sur des rites consistant à pratiquer certaines méditations pour entrer en contact avec les « âmes-groupes » des animaux pour leur demander leur coopération invisible, sur des incantations, sur l’utilisation de cornes de vaches remplies de substances diverses remuées en imprimant au liquide la forme d’une lemniscate, cornes que l’on enfouit ensuite dans le sol, comme autant de capteurs d’énergies spirituelles pour réaliser des « préparations biodynamiques », etc.

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Les anthroposophes ont parfaitement conscience qu’il est très porteur de ranger, comme ils le font, leur « Biodynamie » dans un créneau où elle se faufilerait dans les rangs de l’agriculture biologique et se réclamerait du même combat. Cela leur permet, par exemple, aujourd’hui, de bénéficier du soutien de personnalités médiatiques de premier plan, comme Jean-Marie Pelt ou Pierre Rabhi. Certes, ces personnalités en savent bien plus qu’elles n’en disent publiquement au sujet des arrières-fond occultistes, magiques et ésotériques de la Biodynamie. Mais elles prennent bien garde d’en faire état trop ouvertement !

Il faut pourtant le dire : la Biodynamie est devenue, avec les écoles Steiner-Waldorf, le meilleur outil de propagande de l’Anthroposophie ! Le meilleur, en ce sens que l’Anthroposophie se diffuse toujours d’autant mieux qu’elle ne révèle pas son vrai visage. C’est là, selon moi, un principe de base de cette dérive sectaire. En se présentant comme une simple branche de l’agriculture biologique, la Biodynamie a réussi son coup, de même que les écoles Steiner-Waldorf ont réussi le leur en se plaçant du côté des pédagogies alternatives, comme Freinet ou Montessori. La Biodynamie est ainsi devenue, en tant que méthode d’apprentissage d’une agriculture qui se dit spécifique, l’un des meilleurs outils de propagande de l’Anthroposophie.

« On peut tout-à-fait être agriculteur en Biodynamie sans être anthroposophe ! » mentent effrontément et systématiquement certaines personnes. Elles mentent, car il n’est pas possible de mettre en pratique les indications et les cahiers des charges de la Biodynamie sans tremper peu ou prou dans l’ésotérisme de Rudolf Steiner, qui imprène totalement le « Cours aux agriculteurs », c’est-à-dire l’ouvrage de base de cette agriculture spécifique. Toutefois, ce mensonge (parfois de bonne foi !) est rendu possible par le flou qui règne autour de l’identité des anthroposophes, flou que j’ai cherché à caractériser dans mon article intitulé Qui sont les anthroposophes ? En réalité, il est strictement impossible de dissocier la Biodynamie de l’Anthroposophie, tout comme il est impossible d’en dissocier la pédagogie Steiner-Waldorf ! Pourtant, si ces deux ramifications de l’Anthroposophie étaient honnêtes, tant avec le public qu’avec elles-mêmes, elles devraient dire haut et fort ce qu’elles sont vraiment : des pratiques magico-religieuses issues d’une doctrine occultiste.

Ce lien à l’Anthroposophie n’est pas seulement une référence à la doctrine de Steiner, mais un mode de captation de nouveaux adeptes. Il suffit pour s’en rendre compte de lire les intitulés des formations que propose le MABD (Mouvement d’Agriculture Biodynamique) : derrière des formulations où il semble seulement question d’observation de la faune et de la flore, on s’apercevra que les stages en question sont bien souvent conduits par des anthroposophes. Pour avoir connu la plupart de ces « formateurs » et les contenus de leurs « enseignements », je peux certifier qu’il ne s’agit pas tant d’apprendre à observer véritablement la nature que d’inculquer les bases de la doctrine steinerienne. Celle-ci est toujours introduite prudemment, lors de ces stages, en dissimulant dans un premier temps son nom. Ainsi, les formateurs en Biodynamie parlent toujours plus volontiers « d’approche goethéenne de la Nature » que d’Anthroposophie. Comme le gourou l’avait fait lui-même de son vivant pour promouvoir insidieusement ses propres idées, Steiner s’abrite derrière Goethe !

J’ai rencontré les personnes qui suivent ces formations à l’agriculture biodynamique. J’ai moi-même participé, en tant qu’anthroposophe, à l’un des grands congrès du mouvement d’agriculture biodynamique, dans lequel je donnais des conférences d’anthroposophie. C’est pourquoi je me sens autorisé à dire que les personnes qui suivent ces prétendus stages de formation à une agriculture dite alternative, bien souvent des jeunes, le font la plupart du temps sans savoir clairement où ils ont mis les pieds. Ce n’est que progressivement que leurs esprits sont rendus perméables à la doctrine anthroposophique et malléables aux influences psychiques des anthroposophes. Il s’agit du même processus que j’ai décrit, dans un autre  article, pour la formation pédagogique Steiner-Waldorf : les recrues sont dans un premier temps attirées par une proposition large et alléchante, puis prises dans des procédés subtiles de suggestions, d’auto-suggestions, d’emprise du groupe sur les individus, de séductions, etc. Peu à peu, elles en viennent à perdre leur capacité de raisonnement, à abdiquer l’autonomie de leur pensée, à plonger dans un univers mental à la fois nébuleux et sensualiste où leur véritable personnalité finit par se dissoudre et se perdre. Cela se voit jusque dans leurs manières de s’habiller ou de se laver, qui ont radicalement changées au terme de cet « apprentissage ». A la fin de la dite « formation », ils sont devenus ce que l’Anthroposophie veut faire des êtres humains : des individus superstitieux, faibles et crédules, adoptant certains comportements vestimentaires, alimentaires, hygiéniques, sociaux et culturels propres à l’Anthroposophie.

En outre, les liens de la Biodynamie avec l’Anthroposophie ne sont pas seulement des liens à la doctrine de Rudolf Steiner, ni avec les modes de vie des anthroposophes. Il s’agit également de liens institutionnels avec la Société Anthroposophique. Car les hauts dirigeants de l’agriculture biodynamique sont des membres de l’École de Science de l’Esprit de cette institution (Lire à ce sujet mon article « L’endoctrinement des élèves à l’Anthroposophie dans les écoles Steiner-Waldorf« ).

De surcroît, l’agriculture biodynamique est l’un des maillons essentiels du circuit économique fermé que tente de constituer l’Anthroposophie. Observons ce circuit. Les agriculteurs biodynamistes produisent des denrées qui iront alimenter notamment des institutions issues de l’Anthroposophie, comme les écoles Steiner-Waldorf, les instituts de pédagogie curative pratiquant les directives de Steiner, les maisons de retraites anthroposophiques, etc. Ces dernières feront insidieusement la promotion de l’Anthroposophie auprès de tout ceux qu’elles touchent : élèves, parents, proches, etc. Parmi ceux-ci, un certain nombre deviendront des anthroposophes, ou proche de ce milieu (Lire à ce sujet mon article Qui sont les anthroposophes ?). Ils achèteront ainsi de préférence des produits de l’agriculture biodynamique, mais également des produits Weleda, Hauchka, etc. Ils auront un compte à la NEF. Avec cet argent déposé dans ses coffres, cette banque subventionnera des fermes pratiquant l’agriculture biodynamique. Au passage, le succès commercial de la firme Weleda, soutenu par cet élargissement du milieu anthroposophique, permettra de subventionner de nouveaux établissements agricoles pratiquant la Biodynamie. La boucle sera ainsi bouclée, tout en ayant réussi à grossir par la captation de nouveaux membres.

Enfin, je tiens à mentionner qu’en tant qu’élève Steiner-Waldorf, les prétendus « stage en milieu agricole » que l’on nous faisait faire, soit-disant dans le but de nous sensibiliser aux métiers de la Terre et aux questions environnementales, étaient presque toujours des stages dans une ferme biodynamique, où l’on en profitait pour nous sensibiliser à certaines doctrines steineriennes, tout en bénéficiant d’une main-d’œuvre gratuite. En effet, je me souviens avoir passé des semaines entières à désherber, avec ma classe, des champs d’oignons, sans trop comprendre ce que je faisais ni l’utilité de mon travail, tout simplement parce que le fermier biodynamiste qui recevait les élèves de mon école Steiner-Waldorf avait besoin de travailleurs pour des travaux qu’il n’aurait pas pu réaliser sans nous. Il n’y avait strictement aucun enseignement de l’amour ni du respect de la Nature dans une telle pratique ! C’était tout simplement une exploitation humaine, comme les autres.

Alors certes, les agriculteurs biodynamistes n’utilisent pas de pesticides. Mais à quel prix ?! C’est à cette question que devraient tenter de répondre, en leur for intérieur, tout ceux qui songent à signer la pétition en faveur d’Emmanuel Giboulot.

On peut tout-à-fait réprouver l’usage des pesticides en agriculture et pourtant être farouchement opposé à la promotion insidieuse de l’Anthroposophie. Quand on a connu de l’intérieur dans quelle spirale de non-respect pour les lois et les institutions de la société sont entraînés ceux qui entrent dans l’Anthroposophie, ainsi que les institutions qui en sont issues, on ne peut que regarder d’un œil circonspect l’attitude de cet agriculteur se réclamant apparemment d’une démarche de désobéissance civile. Car la violation des lois, ou leur non-respect sciemment organisé, les tricheries constantes avec les règles, comme je le décris par exemple dans le cadre des institutions scolaires Steiner-Waldorf, est bien le propre de cette mouvance telle que je l’ai connue ! C’est pourquoi prendre la défense de cet individu qui aurait volontairement, semble-t-il, violé la loi, et qui encourerait à cet égard des peines légitimes, consiste selon moi à prendre le risque de légitimer, à travers ce cas particulier, une démarche de fond grave et potentiellement dangereuse, un positionnement délétère vis-à-vis des institutions et des lois, qui est celui de l’Anthroposophie. Les journalistes devraient sérieusement réfléchir à ce que je dis ici. En un mot, soutenir Emmanuel Giboulot aujourd’hui, c’est prendre le risque de cautionner une dérive sectaire et les conséquences dramatiques qui peuvent en découler. J’ai le plus profond respect pour les démarches de désobéissance civile. Mais je pense qu’il faut les distinguer d’attitudes consistant à tricher systématiquement avec les lois et à tromper son monde autant que possible pour faire comme bon nous semble, jusqu’au jour où l’on se fait prendre. Je ne sais pas si c’est le cas pour Emmanuel Giboulot dans cette affaire. Mais je pense que c’est le propre de l’Anthroposophie que de conduire à de tels comportements, parce que tel était le mode opératoire de Rudolf Steiner lui-même, comme je l’ai montré dans un autre article, et qu’il a transmis des directives en ce sens à ses disciples.

De nos jours, il est à la mode de contester toutes les règles et toutes les directives émanant des institutions. Prendre fait et cause pour des nouveaux Robins-des-Bois est devenu une sorte d’engouement collectif systématique. L’État et ses représentants sont volontiers perçus comme des êtres rigides appliquant stupidement des règles générales. Mais mettons-nous un moment à la place de l’inspecteur de la Préfecture qui a dénoncé Emmanuel Giboulot à la Justice, après avoir constaté que celui-ci n’avait pas accompli ce qu’il était tenu de faire de par la loi. Son soucis n’était-il pas de préserver la viticulture d’une région toute entière d’un désastre écologique potentiel ? N’est-ce pas également ce que devrait faire un inspecteur des services sanitaires, s’il constatait qu’une école Steiner-Waldorf, par exemple, est devenu un foyer épidémique, en raison du laxisme qui peut y régner en matière de vaccinations, ou de déclarations peu spontanées par les médecins scolaires anthroposophes des foyers infectieux lorsque ceux-ci se produisent ? Mais il est fort probable qu’aussitôt circulerait, pour contrer cette procédure, une pétition semblable à celle qui soutient actuellement Emmanuel Giboulot, et que celle-ci recueillerait rapidement d’innombrables signatures. Pourtant, ne devrait-on pas davantage réfléchir à ce que signifie la notion d’intérêt public avant d’apporter son soutien à de telles causes ? Que peut faire l’État, dont le devoir est la protection de la collectivité, face à des comportements fanatiques qui ne veulent pas un instant considérer les conséquences potentielles de leurs actes au-delà de la clôture de leur champs, ou de l’enceinte de leur école ? La seule solution n’est-elle pas la sanction, au risque de provoquer la levée des boucliers de petit monde de l’alternatif, qui ne veut rien entendre à ce genre de considérations ? Depuis bien trop longtemps, les institutions issues de l’Anthroposophie bénéficient de la clémence des autorités compétentes ! A chaque fois que le constat d’un travers est fait, on leur fait de nouveau confiance pour se remettre d’elles-mêmes dans les clous, au lieu d’appliquer ce qui est légalement prévu. Mais dans l’ombre d’une telle clémence, « l’épidémie » ne cesse de s’étendre. Il est temps que celle-ci s’achève !

Il se peut que la Biodynamie donne de bons résultats. Il se peut aussi que non. Je n’en sais rien car il m’est impossible de savoir si ce qu’on me disait, quand j’étais anthroposophe, des sublimes performances de cette « agriculture », était vrai. La seule chose que je sais, c’est que la Biodynamie est l’un des vecteurs les plus efficaces et les plus sournois de la propagande anthroposophique et du milieu anthroposophique aujourd’hui. Qu’il soit biologique ou non, personnellement, je ne mangerai plus de ce pain-là !

A propos gperra

Professeur de Philosophie
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